Karim fit son entrée ce même jour, à 10 h 30 précises,
conformément à son engagement antérieur. Ce qu’il
est convenu d’appeler « l’affaire de la prise d’otages de Nantes
» allait commencer… Elle permit de développer un dialogue
et un échange mutuels, entre les « preneurs » et les
« pris ». Au fil des heures, de chasser la peur et vaincre
l’incrédulité pour les remplacer par une sérénité
et une compréhension, inimaginables au sein même d’une institution
telle que la justice.
Dans ce climat, « l’opération » put se dérouler
sans vindicte particulière, ni d’un côté ni de l’autre,
et nul ne pensa jamais qu’elle eût pu dégénérer.
Nous nous retrouvâmes sans problèmes particuliers sur une
des pistes de l’aéroport de Nantes, dans l’hypothétique espoir
de nous envoler vers d’autres cieux…
Et pourtant, elle allait, hélas ! mal se terminer. Que certains
y aient perdu une fois de plus leur honneur et leur dignité ne saurait
étonner personne, mais leur forfaiture allait dramatiquement retomber
sur Karim.
Forfaiture : d’abord pour Joxe, préposé au ministère
de l’Intérieur au moment des faits. Il se transforma en signataire
invétéré : il se saisissait d’un arrêté
d’expulsion, le signait, en reprenait un autre, récidivait, l’adressant
en dernier ressort à Robert Broussard, ex-préfet en Corse,
chef des stipendiés du RAID, et néanmoins commissaire de
police. Finalement, il en signait un autre qu’il faisait parvenir aux services
de police, les uns étant censés rendre simultanément
caducs les autres. Joxe, en plus de ministre, était menteur. Broussard
reçut le sien le jeudi après-midi, 19 décembre, avec,
pour ordre, de ne le présenter aux intéressés qu’en
cas d’estimation de « blocage » de la situation. Il constata
effectivement celui-ci le lendemain, et, tel un Majax de la négociation,
fit surgir le fameux arrêté d’expulsion de sa poche, et me
le soumit. Il va de soi que je n’aurais su prendre de décision à
la place de Karim, et ce fut donc logiquement ce dernier qui traita directement
avec Robert. Mais, ledit Robert était un homme de parole et crut
devoir prendre des garanties supplémentaires quant aux affirmations
qu’il assénait à Karim. Il avait mis dans la confidence le
consul général du Maroc dès le début de l’après-midi
; ce dernier fut envoyer quérir à Rennes et conduit sous
bonne escorte à Nantes, où il résidait, puis, présenté
à Karim. Le consul confirma point par point les propos de Broussard
; on dépêcha des motards pour se procurer un Coran dans les
plus brefs délais, afin que le consul pût jurer dessus en
toute quiétude ! Karim serait expulsé en urgence absolue,
pour « troubles graves à l’ordre public » conformément
à la loi, vers une destination de son choix, bénéficiant
de la sorte du même traitement que messieurs Abou Daoud ou Wahid
Gordji. C’était la condition sine qua non de notre reddition. Elle
fut agréée par Karim, et, par voie de conséquence,
par Patrick Thiolet et moi-même. L’esprit de la négociation
s’appuyait sur le principe que les gens qui étaient en prison allaient
y rester, et que celui qui était venu libre allait le rester. Il
fut exposé à Karim qu’il devrait se soumettre aux formalités
administratives relatives à son expulsion.
