Lettre ouverte des avocats de Khalki, Courtois et Thiolet à MM. Badinter et Joxe
Nantes, le 3 février 1986
Monsieur le Ministre de la Justice
Monsieur le Ministre de l’Intérieur

    La vie d’un homme vaut plus que les mauvaises raisons d’État. Vous en êtes convaincus, nous le savons, et c’est pourquoi nous nous adressons à vous.
Pour être entendus, sous peine de mort.
    Le 20 décembre 1985, A. Khalki, G. Courtois, et P.  Thiolet se sont rendus aux forces de police, dirigées par monsieur le préfet Broussard, après une prise d’otages qui ne fit aucune victime.
    Devant témoins, le préfet Broussard fit la promesse à Khalki de l’expulser vers le pays de son choix. Pour ne pas exécuter la promesse, on invoqua le refus du Maroc de recevoir son ressortissant.
    Khalki n’a pourtant jamais sollicité son expulsion vers le Maroc. Le bon sens le plus élémentaire l’en eût dissuadé.
    Khalki n’a pas eu à choisir. Il s’est soumis à cette proposition d’expulsion qui le privera pour toujours de vivre en France. Il y résidait depuis 12 ans.
    Il n’entend pas accepter qu’on revienne aujourd’hui sur la parole donnée. Or depuis le 22 décembre, Khalki, placé sous mandat de dépôt, est incarcéré. On se refuse à l’expulser, en violation manifeste des assurances que monsieur le préfet Broussard lui a données.
    Khalki a engagé une grève de la faim. Il est au 35e jour. Il vient de cesser de s’alimenter en eau.
    Nous estimons que rien, ni dans la raison d’État ni dans l’idée de justice, ne peut légitimer le refus de respecter cette parole donnée. La justice la plus élémentaire impose le respect des engagements pris pour obtenir la reddition des preneurs d’otages.
    La sécurité impose de maintenir le crédit de ceux qui assument seuls la négociation des redditions. À défaut, c’est la sécurité physique des prochains otages qui est mise en jeu.
    La morale nous impose de respecter la promesse faite à Khalki, ne serait-ce que par égard pour le consul du Maroc en France, qui y fut associé par le serment sur le Coran.
    La justice et le souci de sécurité y trouveront leur compte.
    Nous vous demandons solennellement de procéder à l’expulsion de A. Khalki vers le pays étranger de son choix.
    Khalki ne peut être en France la première victime d’une grève de la faim, sacrifié à d’obscures raisons d’État. L’engagement pris était sage et juste.
       Le ministre de la Justice ne saurait concevoir d’autre chemin que le respect de la parole donnée.

Le ministre de l’Intérieur ne saurait prendre d’autres mesures que l’expulsion.

Sous peine de mort.

Michel Taupier
Jean Danet
Danielle Fretin Bathily
Alain Le Thuault